Libarté

C'était en juillet 2004. Vingt ans déjà. 50 000 personnes participent à une grande marche dans les rues de Québec pour manifester contre la décision du CRTC de ne pas renouveler la licence de radiodiffusion de leur station préférée. Le mois suivant, des milliers se rassemblent encore pour la même raison, cette fois devant le Parlement d’Ottawa. Du jamais-vu pour une radio, tant la sanction que l’appui de la population. J’y étais. Et j’entends encore la musique des Pistolets Roses, le chant de ralliement par excellence cet été-là:
« Qui êtes-vous pour décider
De ce qu'on doit dire ce qu'on doit crier?
Une commission qui gouverne les pensées
Ces bureaucrates qui croient tout savoir
Sur le bien ou le mal , utilisent leurs pouvoirs
Pour me faire taire et me crucifier »

J’y étais parce que j’avais la conviction que cette décision du CRTC augurait mal pour la liberté d’expression au pays. Et à voir où en est la liberté d’expression aujourd’hui, ainsi que ses corollaires la liberté académique (parlez-en à Patrick Provost*) et les libertés tout court (comme on l’a vu pendant la pandémie**), j’ose dire que le temps me donne raison. Le groupe RBO pourrait-il faire aujourd’hui les sketches qu’il faisait dans les années ’80?  Y aurait-il beaucoup de monde aujourd’hui qui seraient «Charlie» en support à la station?  

Libarté de tout dire 

«Ouin mais la liberté d’expression ne donne pas le droit de dire n’importe quoi! » me réponderez-vous. 
Absolument. Il y a une limite à la liberté d'expression, et elle est déterminée sur la base du droit. Nous avons en effet des lois pour tracer une  ligne, pour limiter ou carrément interdire certains types d'expression tels la diffamation, la propagande haineuse ou le discours incitant à la violence, tous passibles de sanctions pénales en vertu du code criminel. Dans le cas de CHOI, il y avait d’autres options que la fermeture et les animateurs fautifs ont d’ailleurs été sanctionnés lors de procès intentés contre eux. 

Pour le reste, voyez-vous, la liberté d’expression ne s'applique pas pour parler de la pluie et du beau temps. George Orwell disait: «Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre.» 
La liberté d’expression ne s’arrête pas quand les propos sont choquants ou dérangeants. En plein ce à quoi fait référence le jugement de la Cour Suprême dans l’affaire Mike Ward vs Jérémy Gabriel, dans lequel les juges ont statué que la liberté d’expression «présuppose la tolérance de la société envers les expressions impopulaires, désobligeantes ou répugnantes».  La fameuse blague sur Jérémy Gabriel, eh bien la Cour Suprême a tranché que Ward avait le droit de la faire. Aussi poche, méchante et gratuite était-elle. Point barre. Et même si je n'apprécie pas du tout ce style, je suis d’accord que notre société le permette. Et pas seulement sous le sceau de l'humour j'espère... sinon faudra-t-il obtenir le "statut" d'humoriste pour avoir la "permission" d'être cinglant?

Dans notre société, donc, on a le droit de faire des blagues de mauvais goût; on a le droit d’émettre des opinions que les autres n’aiment pas ou de prononcer des paroles qui font de la peine. Le droit de «ne pas être offensé» n'existe pas. Voilà nos règles. Et je les trouve très bien ainsi. 

Alors moi, en 2004, pendant que les médias et la plupart des gens se réjouissaient des déboires de la station et en applaudissaient la fermeture, je me disais en soupirant "Aujourd’hui c’est eux... demain ce sera quoi?"  

Politiquement incorrect

Au-delà de la diffamation et des attaques personnelles, qui n’ont PAS leur place on s’entend là-dessus, je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a eu dans l’histoire de RadioX une bataille idéologique sous-jacente. Car il faut savoir que les animateurs y émettent depuis longtemps des opinions politiques qui divergent de la pensée unique ambiante. Et ça, mes amis, ohhhhh que ça déplait...  

On le sait que le discours davantage à droite (conservatisme, libéralisme économique et autres) est généralement démonisé dans nos médias traditionnels (j’ai écrit un article sur ce biais médiatique, pour le lire cliquez ici), et Jeff Fillion s'inscrit en plein dans cette vision. Or il tenait son discours et faisait des âneries en ondes depuis des années, mais bizarrement les problèmes importants ont commencé parallèlement à la montée de l’ADQ dans la région de Québec. Peut-être une simple coïncidence. Et avec les poursuites suivantes, en particulier celle de la présentatrice météo, on venait je crois de trouver le prétexte parfait pour punir l'ensemble de l'œuvre et enfin se débarrasser de cette voix dérangeante. Fillion est alors devenu LE bouc émissaire des médias, l’homme à abattre. Tous n'auraient pas eu droit à un tel traitement médiatique j'en suis certaine, aussi vindicatif et acharné. En fait, je suis totalement convaincue que le principal crime de RadioX était (et est encore) de remettre en question les «vaches sacrées» du Québec, si chères à une certaine gauche. 

Pour moi toute cette aventure aura sonné une cloche: j’ai réalisé à ce moment que la liberté d'expression est à géométrie variable au Québec. Si tu fais partie de la «bonne gang», ou si tu fesses sur une «bonne cible», on sera beaucoup plus tolérant. Des exemples de deux poids deux mesures, je pourrais vous en faire toute une liste. En tout cas si haine il y avait, laissez-moi vous dire qu’il y en avait des deux côtés, car des commentaires mensongers, agressifs ou insultants, j'en ai lu et entendu une tonne de la part des détracteurs de CHOI. Des propos souvent pires que ce qui a pu être dit sur les ondes de la station. 

Fermer un média était une décision grave qui constituait un dangereux précédent. Donc dans mes livres à moi, oui, la saga de CHOI a réellement été un combat pour la liberté d’expression.  

20 ans plus tard

Vingt ans plus tard, la liberté d'expression se porte mal au Québec et au Canada. Pire encore depuis la pandémie où il est devenu flagrant qu'un contre-discours n’est pas accepté, et pire encore avec l'installation graduelle d'une "culture de cancellation", c'est-à-dire le bannissement de l'espace public d'idées, de personnes, d'œuvres ou de monuments historiques. Des sondages effectués il y a quelques semaines montrent d’ailleurs qu’une majorité de canadiens trouvent qu’un vent de censure souffle actuellement sur le Canada. C’est ce que je pense aussi. Après une belle évolution au fil des décennies, on assiste aujourd’hui à une régression. 
Oh bien entendu vous avez le droit de parler! Le danger, c'est d'en subir des conséquences ensuite. Gare à votre réputation et même à votre emploi si vous osez aller à contre courant. Déjà en 2021, Guy Nantel écrivait dans son excellent «Livre offensant» : "Depuis quelques années, ceux qui refusent de se soumettre à la pensée unique doivent payer un prix de plus en plus grand.
Ce qui fait que les gens commencent à s'autocensurer, chose tout simplement dramatique et anormale dans une société évoluée et démocratique. Une espèce de mort intellectuelle et sociale. Tout cela m’inquiète. Et notre léthargie collective devant ces faits m’inquiète tout autant. 

Nous avons le devoir de dénoncer les reculs de notre liberté d'expression, même si des fois on aimerait bin ça que certains se la ferment... Comme l'a récemment si bien écrit Nathalie Elgrably: "L’histoire a prouvé que la liberté est fragile, souvent menacée par les forces de l’intolérance. Elle doit être préservée avec vigilance et courage, car son érosion commence souvent de manière insidieuse, par de petites concessions qui, mises bout à bout, finissent par la réduire considérablement.

Depuis plusieurs années le concept global de liberté est rabaissé de façon indigne en "libarté", l’associant à une parodie de sous-éduqués, d'égoïstes ou d’anarchistes. Or c’est une valeur cruciale et précieuse de notre civilisation, essentielle à notre qualité de vie. Chérissons et protégeons nos libertés.




* Dr Patrick Provost est biochimiste et professeur titulaire au Département de Microbiologie-infectiologie-immunologie de la Faculté de médecine de l’Université Laval et chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval.
Avant la pandémie, il était une sommité. Maintenant l'Université vient de le congédier.
Son "crime"? Avoir émis des réserves sur le vaccin contre la covid chez les enfants...

** Je ne parle PAS des mesures de base comme le lavage des mains, la distanciation sociale, la vaccination ou le même masque. Je parle des mesures autres, des mesures qui semblaient souvent arbitraires, incohérentes ou carrément non fondées. 
Vous souvenez-vous, par exemple, du code de couleur des régions et de l’impossibilité de circuler d’une région à l’autre? Vous souvenez-vous qu'on ne pouvait pas visiter nos proches, même en groupe restreint dehors à 2m? Vous souvenez-vous qu'on pouvait acheter de la peinture blanche mais pas celle de couleur, ou qu'on pouvait acheter des chips mais pas des bottes d'hiver? Vous souvenez-vous que les relais de motoneige pouvaient servir les clients arrivés en skidoo mais pas ceux arrivés en auto ou en skis? Moi je me souviens. Des taponnages de microgestion qui ont surement apporté plus de mécontentement et d'inconvénients que de bénéfices.
J’ai largement écrit sur la gestion de la pandémie ici (pu capab)ici (un an après partie 1) et ici (un an après partie 2). Des textes qui ma foi vieillissent bien et que je vous invite à lire ou relire par devoir d'introspection... et de mémoire.


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