Santé : privé et autres solutions

 Je me souviens que lorsque j'ai emménagé dans ma première maison, fin des années '90, il y avait une clinique médicale à deux rues de chez moi. Je m'y suis donc rendue à pied pour m'inscrire et, tadam, 5 minutes plus tard j'avais un médecin de famille et un rendez-vous pour la semaine d’après. 
Un ami récemment établi en Espagne me racontait sa première visite à l'urgence, une soirée de l'été dernier où sa fille s'est blessée pendant son match de soccer. De la réception jusqu'à leur sortie assis dans leur voiture, 1 heure 35 minutes au total!! Oui, tout inclus: inscription, consultations du médecin, radiographie, plâtre, consignes et prescriptions (numériques!). 
Incroyable n’est-ce pas! 

Notre réseau de santé actuel est le résultat de décennies d’indifférence ou de laisser-aller, et on en paie aujourd’hui collectivement le prix. On paye au sens propre (monétaire), on paye aussi et surtout au sens figuré (par le manque de services ou les listes d’attente). 

Personnellement, la complexification et la baisse de qualité des services je la constate doublement: de l’extérieur comme contribuable et usagère du réseau, et de l’intérieur comme professionnelle de la santé.
Attendre cinq heures à l’urgence... poireauter durant des mois sur une liste d’attente... ne pas pouvoir obtenir de rendez-vous avec son médecin au moment où on en a besoin, si toutefois on en a un... non seulement c'est un service indigne d’une société riche et savante comme la nôtre, c'est d'autant plus inacceptable connaissant l’énorme quantité d’argent qu’on y injecte. 
Malheureusement la plupart des gens sont comme blasés devant ce qui leur parait inévitable et immuable. Hausser les épaules en disant «Bof, kesse-tu veux qu’on fasse?» ou «Bof, ca pourrait être pire», non merci pour moi. Il ne faut pas se résigner et se satisfaire de si peu!

Au moins débutons sur une note positive: au Québec, la qualité de l'acte, nous l'avons. Bravo! Oui, nous avons de très bons soins. Le problème, c'est l'accessibilité. Car à moins d’avoir des contacts dans le réseau ou d’être assez riche pour aller au privé, quand c'est pas urgent t'attends longtemps... Si ce n'est pas un système à deux vitesses je me demande bien ce que c'est. 

Juste pour se donner une idée de ce qui se passe ailleurs, commençons par deux statistiques tirées d’une récente étude comparant le Canada et quelques pays européens ayant des systèmes de santé plus performants. Car ce n'est pas aux pires qu'il faut se comparer, c'est aux meilleurs! Les États-Unis n'ont pas été considérés dans l'étude car ils n’ont pas une couverture universelle, c'est-à-dire que ce n'est pas tout le monde qui est assuré, chose que personne ne veut voir ici. 
Donc:
- Pourcentage des patients qui attendent plus de 4 heures à l'urgence:
Québec: 40%
Allemagne: 10%
Suisse: 8%
Pays-Bas: à peu près inexistant (3%)
En fait, dans les pays étudiés, près de la moitié des patients attendent moins d’une heure à l’urgence... 

- Pourcentage de gens qui attendent plus qu’un an pour une consultation avec un spécialiste:
Québec: 13%
Autres pays étudiés: à peu près inexistant (moins de 1%)

Et ces résultats ne sont pas qu'une question d'argent. Nos dépenses en soins de santé sont parmi les plus élevées à l'échelle internationale, et des pays comme la Suède ou l'Australie dépensent MOINS que nous au prorata par habitant tout en ayant de meilleurs soins. 

On vise un système de santé accessible et universel, fort de sa première ligne et aussi axé sur la prévention et le mode de vie. Améliorer un réseau de Santé ne se fait pas en criant ciseau, mais faut toujours bin commencer quelque part. Regardons ce qui se fait ailleurs et pigeons dans ce qui marche bordel! Voilà trois propositions primordiales pour enfin améliorer notre réseau de Santé. Parce que ça va prendre plus que des petites réformes esthétiques ou du brassage de bureaucratie comme on le fait toujours...

1- Ouvrir la porte au privé

Ouch, le fameux mot en «P», ça commence raide... De grâce, n'arrêtez votre lecture ici! Ne faites pas comme le font habituellement nos médias, c'est-à-dire ignorer l’idée ou la rejeter systématiquement sans même vouloir en débattre.

On va d'abord mettre quelque chose au clair: un, on parle ici d'un privé payé par l’état, très différent du privé parallèle qu'on a présentement et qu'on paie de notre poche; deux, je le répète, personne ne veut d'un système de Santé où une partie de la population n'est pas couverte, comme on le voit aux États-Unis. J'insiste parce qu'il y en a toujours qui brandissent cet épouvantail aussitôt qu'on parle de faire une place au privé en Santé. On veut un système de santé universel et gratuit, où tout le monde est traité également et gratuitement, où personne n'est obligé de sortir sa carte de crédit pour être soigné. Fini le système à deux vitesses.

Saviez-vous que l'un des meilleurs hôpitaux en Suède, le Saint Göran, est un hôpital financé par l’État et géré par une entreprise privée? Un hôpital performant, avec des patients satisfaits et des employés heureux, le tout en coûtant moins cher à l’État que bien des hôpitaux publics de Stockholm. Magie? Non, simplement l’application de principes économiques de base.

Ce qui est proposé, c'est un système MIXTE et universel; un système où la RAMQ défraie les coûts mais où les soins seraient dispensés tantôt par le public, tantôt par le privé. Tous les types de soins ne peuvent pas être pris en charge par le privé, mais beaucoup peuvent l’être avec succès. Au fond, qu'est-ce que ça change pour moi que mes soins me soient donnés par une gestion publique ou privée, et qu'est-ce que ça change pour au final pour le réseau que l’infirmière les ait offerts au privé?! Le service est donné anyway.

Hallucinant de voir comment au Québec on a d'la misère à concevoir que l'état peut payer les soins sans nécessairement être celui qui les donne! Pourtant, tout comme votre assurance-auto paye les frais même si elle ne gère pas les garages, le gouvernement peut très bien payer les soins sans gérer les hôpitaux. D’ailleurs plusieurs pays qui surpassent le Canada et le Québec en termes de performance ont des systèmes mixtes.

"Ah on sait bin, vous autres le monde de droite vous en avez juste pour le privé!"  Euh... non. En fait ce qu’on veut c’est de la CONCURRENCE. On pense qu’un monopole n’est jamais une bonne chose, qu'il soit public ou privé. Un libre marché où règne la concurrence fournit un comparatif qui vient stimuler les initiatives et une meilleure utilisation des ressources. Un peu comme les écoles publiques ont bonifié leur offre de programmes grâce au comparatif avec les écoles privées. Il y a une différence entre privatiser le réseau et libéraliser le réseau (ce dont il est question ici). Important de saisir cette distinction.

L'État peut être un excellent législateur et un excellent assureur... mais comme fournisseur de services il est généralement pourri. Pourquoi? Parce qu'il ne subit pas les conséquences de sa mauvaise gestion! Contrairement à une entreprise privée, le gouvernement ne craint pas de perdre sa clientèle ou son financement, et personne ne craint de perdre son emploi. Alors pas trop de stress... ni d'incitatifs de rendement! Aucune entreprise privée ne survivrait avec un échec tel que celui de notre système de Santé, elle aurait fait faillite depuis longtemps.

Faire de la place au privé constitue un essentiel changement de paradigme. Car depuis des décennies on ne voit que des "réformettes" et des changements administratifs ici et là, jamais de réflexion de fond, jamais de remise en question du postulat de base qui est d'avoir un réseau entièrement public. Et depuis des décennies qu'on assiste à une dégradation de nos services. Je suis persuadée que l’inefficacité aiguë de notre modèle actuel vient de la force de l’idéologie, voire du dogme, du «Tout à l’État».

2- DIMINUER LA BUREAUCRATIE!

Saviez-vous que l'organigramme du Ministère de la Santé a douze pages? Oui, 12 pages!! (Et ça ne doit même pas inclure l'organigramme des CIUSS et celui des hôpitaux.) Et qu'après avoir parcouru tout ce beau document, on n’a pas vu l'ombre du début d'un soin qui a été donné... Et c'est surement pareil dans tous les ministères. Des étages de bureaucratie, des centaines de personnes qui passent leur temps en réunion à gestionner j'sais pas quoi. Si la moitié de ces postes étaient coupés, vous pensez que ça changerait quelque chose sur le terrain, vous autres??  Absolument pas! Couper dans le gras, ça veut dire couper là-dedans. De l'argent pis de la main d'œuvre, on vient d'en trouver. 

Mais PERSONNE ne parle de ça. Ni nos élus. Ni les syndicats. Et surtout pas nos incompétents de journalistes qui sont pas foutus de dénoncer ce problème de fond et de challenger les politiciens là-dessus. Ça me met hors de moi. Déjà en 2020 j'écrivais sur la bureaucratie. Pour lire c'est ici (bureaucratie) et ici (CRDS). Encore d’actualité n'est-ce pas.

3- Augmenter les effectifs

Ici nous avons environ 8 infirmières/1000 habitants, ailleurs c'est entre 11 et 15. Quant aux médecins, ici nous en avons 3/1000 habitants, ailleurs c'est environ quatre.

Dire qu'au début des années '90, lorsque j’étais étudiante, déjà on parlait dans nos cours du vieillissement de la population et de la pénurie de main d'œuvre attendue dans les années 2000! Qu’est-ce qui a été fait par les gouvernements successifs pour éviter la situation (prévisible) qu’on connait aujourd’hui???

Comment augmenter les effectifs:
- Évidemment augmenter les cohortes
- Accélérer la reconnaissance des diplômes étrangers
Un changement réalisable assez rapidement, du moins pour les pays qui offrent une formation académique similaire à la nôtre.
- Augmentation du nombre d’infirmières praticiennes spécialisées (IPS), alias les «super infirmières»
- Favoriser le retour au travail des retraités via d'intéressants incitatifs fiscaux (crédits d'impôt)


Très contente que vous soyez encore là! Commencez à ressentir le soulagement que vous éprouveriez sachant qu’un réseau de santé bienveillant et efficace sera là pour vous le jour où vous en aurez besoin. 
Ce n’est pas de l’utopie, c'est tout à fait possible. Parce que ça existe.
Mais à notre échelle, que peut-on faire? 
    - S’indigner de la situation actuelle. 
    - Se renseigner sur ce qui marche ailleurs. 
    - En parler. 
    - Et voter pour ça.

Si vous en voulez encore plus, voici pour terminer quelques autres idées en vrac. Parce que je pourrais en jaser jusqu'à demain matin!

- Décentraliser!
Des décisions prises plus près des employés et des patients, donc mieux adaptées à la réalité de chaque milieu.

- Financement des hôpitaux par épisodes de soins et non par budgets historiques
Bonne nouvelle: cette façon de faire est amorcée dans certains secteurs. Preuve que des changements sont possibles!
L’objectif est de faire des gains de productivité et augmenter le volume de services avec les mêmes budgets. La majorité des pays développés fonctionnement de cette façon depuis longtemps. Ça tire le réseau vers le moins coûteux et encourage les équipes à aller chercher les meilleures pratiques. 

- Permettre la pratique mixte (publique et privée) des médecins
Actuellement seuls quelques spécialistes peuvent pratiquer à la fois dans le privé et le public, les autres doivent se désaffilier complètement du public s’ils veulent travailler au privé. Les médecins pourraient avoir un minimum à faire au public et ensuite avoir la possibilité de compléter dans le privé s'ils le désirent, probablement un temps de travail supplémentaire dont on pourrait bénéficier.

- Bonifier les soins à domicile
- Pas de nouveaux CHSLD, agir plutôt en amont
- Financer les proches aidants et les soins à domicile jusqu'à concurrence de ce que ça couterait à l’État en hébergement (Ça c’est brillant!)
- Favoriser les maisons bigénérationnelles
- Renforcer le soutien à domicile via des organismes à but non lucratif et/ou communautaires qui sont près des patients, au lieu de toujours vouloir institutionnaliser
- Pouvoir souscrire à une assurance "perte d'autonomie", ce qui crée un marché de soins de longue durée. Les pays qui performent le mieux au niveau des soins de longue durée ont cela. 

Comme je le disais plus haut, l'une des premières choses à faire pour que les choses changent, c'est au moins de s'intéresser. Alors bravo et merci d'avoir lu jusqu'au bout.

*Ça fait longtemps que ces pistes de solutions circulent via différents acteurs et commentateurs de la scène politique. Et dans ce blogue j’essaie, la plupart du temps, de m’en tenir aux idées et aux grands principes, sans être (totalement!) partisane. Or cet article, je ne m'en cache pas, s’inspire de la plateforme du Parti Conservateur du Québec. Difficile de faire autrement car, que voulez-vous, pour beaucoup de ces idées seul le PCQ en parle et les inclue dans son programme.




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