Artistes, artisans et technocrates
Aujourd'hui je vous fais découvrir le livre "Artistes,
artisans et technocrates dans nos organisations", de Patricia Pitcher. Un
ouvrage devenu une référence dans le domaine du management.
Oui, un livre de gestion! Mais accessible et super
intéressant, et qui s'applique à toutes les entreprises, de la PME à la multinationale.
Il s'adresse aussi à ceux qui, comme
moi, s'intéressent aux politiques publiques, car il y a décidément un lien à
faire entre le style de gestion de nos institutions et la qualité des services publics
offerts.
L'auteure a suivi pendant plusieurs années une importante compagnie
québécoise, ce qui lui a permis de constater qu'il existe trois types de gestionnaires
qu'elle a appelés les artistes, les artisans et les technocrates. Sa
catégorisation des personnalités est particulièrement intéressante car elle ne
tient pas seulement compte des traits de caractère des individus, elle se rend à
leur nature profonde.
Résumé des caractéristiques de chacun des acteurs:
- L’artiste
Chaleureux. Émotif. Non conformiste. Audacieux.
Ne se soucie pas des détails. Délègue facilement et fait
confiance à ses subalternes.
L’artiste aime les gens et les gens l’aiment.
A toujours de nouvelles idées, de nouveaux projets.
Pense aux ponts à jeter vers l'inconnu.
- L'artisan
Possède la connaissance et l'expérience. Calme. Sérieux. Travaillant.
Réaliste.
Digne de confiance. Conventionnel mais ouvert d'esprit.
Fier de son travail et axé sur la qualité: "Ce qui
mérite d’être fait mérite d’être bien fait."
Croit en la hiérarchie et l'autorité. Collabore avec les
autres.
Base son action sur son jugement et non sur des règles. A
horreur des paresseux, de l'injustice et de la stupidité.
Construit les ponts que l'artiste a imaginés.
(Vous remarquerez que l'artisan possède des vertus hélas bien peu
valorisées actuellement: l’effort, la discipline, la tradition, le respect de l’autorité...)
- Le technocrate
Brillant. Méthodique. Très ingénieux. Cérébral.
Attaché aux détails. Intransigeant. Virtuose de la
technique.
Fasciné par les structures et les organigrammes. Ne tolère pas l'erreur et met les siennes sur le dos des autres.
Centralisateur car il est le seul à savoir faire les choses.
Très attaché aux règles: "Je comprends que vous risquez de perdre votre maison, mais le manuel
m'interdit toute exception."
Prône les solutions techniques au
détriment de l’humain
L’artiste est le visionnaire.
L’artisan est le gardien des connaissances et du
savoir-faire.
Le technocrate est le champion de la structure.
L'entreprise que l'auteure a étudiée (une institution financière)
avait à sa tête, au tout début, des artistes, et à son emploi essentiellement des
artisans. Au fil des années, des postes de direction importants ont été offerts
à des technocrates. Même que le fondateur de l'entreprise a choisi un
technocrate comme successeur. Arrive donc l'inévitable: la vision d'entreprise s’effondre,
la compagnie se retrouve en grande difficulté financière et finit malheureusement
par être rachetée.
Nous apprenons que les technocrates peuvent rapidement
détruire ce qu'ont imaginé les artistes et construit les artisans. Morale qu'il
faut tirer de l'histoire: vous pouvez laisser les technocrates influencer votre
entreprise, mais évitez de leur donner une miette de pouvoir!!
Car les technocrates mettent l’emphase sur les exercices de
planification et non sur la réalisation elle-même. Ils possèdent aussi un
discours séduisant, rempli de concepts à la mode et, malgré toutes leurs
phrases creuses et dénuées de sens pratique, les technocrates gravissent bien les
échelons.
Par exemple, lors d'une entrevue d'embauche:
- Que feriez-vous si on vous confiait le poste?
Candidat #1: " Vous
pouvez me faire confiance. J'ai quelques idées mais elles sont vagues pour
l'instant. Tout va se clarifier en cours de route." (un artiste)
Candidat #2: "La
division des machins-trucs a eu des problèmes parce que son directeur ne connait
rien en machins-trucs. Il y a eu tellement de changements que le personnel est
démoralisé. Avec quelques ajustements et des changements mineurs, tout ira bien."
(un artisan)
Candidat #3: "Nous
devrons décentraliser, réduire nos frais et forger des alliances stratégiques.
La clé, c'est la flexibilité et la synergie. La révolution des communications
et la voie de la mondialisation sont en train de faire disparaître les entreprises
telles que nous les connaissons." (un technocrate)
Qui obtiendra le poste vous croyez?! Eh oui, le
technocrate.
Est-ce à dire que les technocrates sont méprisables ou
inutiles dans une organisation? Pas du tout! Ils sont une mine d’informations,
ont une excellente capacité d'analyse et sont très habiles pour gérer les
choses. Ils sont parfaits pour examiner une affaire sous tous ses angles ou pour
agir à titre de conseillers.
Mais ils n'ont pas l'imagination ni le savoir-faire pour
créer quoi que ce soit.
J'ai adoré ce bouquin! À chaque page que je lisais, je ne
pouvais m'empêcher de faire le parallèle avec le gouvernement... Ça a mis des
mots sur ma pensée: nous sommes dirigés par des technocrates.
L'auteure confirme qu'on retrouve effectivement un haut
taux de technocrates dans le secteur public! Ils sont attirés comme des mouches
vers les hautes sphères de la fonction publique parce qu'ils sont avides de
pouvoir et de prestige, et ce sans risque de se voir licenciés. Dans le secteur
privé, le marché se charge de mettre un stop à une mauvaise gestion de par le
risque de faillite, mécanisme qui n'existe pas dans le public. De plus, au
public, la responsabilité se trouve tellement divisée qu'on ne sait pas à qui
attribuer la faute. (Vous avez une impression de déjà-vu vous aussi?!)
Voilà qui explique, en partie du moins, pourquoi notre
bureaucratie est démesurée et déconnectée de la réalité, et pourquoi la qualité
de nos services publics se dégrade avec le temps. Je vous le dis, ce livre est
du bonbon!
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